Brexit : le pari risqué de la gauche et de la droite

Depuis que le Royaume Uni a fait son coming out démocratique pour la sortie de l’Union Européenne, la classe politique française donne le sentiment d’un réveil tardif. À droite comme à gauche, on dénonce « l’Europe passoire ». On parle la langue du « souverainisme ». On propose ici un référendum, là un nouveau traité et même les deux à la fois. On dénonce le « décrochage populaire » d’une Europe plus à même d’épiloguer sur le calibre des concombres (l’argument a beau être en grande partie erroné, il fait sens), que d’arrêter une réponse commune à la crise des migrants ou de construire une stratégie de défense européenne face aux crises internationales.

Les mots sont d’autant plus forts qu’ils ont longtemps été fades, voire insipides. Il n’est pas si loin le temps où toute forme de critique face à certaines des orientations prises par la construction européenne valait à leurs auteurs une condamnation quasi-unanime. Que l’on se souvienne de cette « pensée unique » que dénonçait Philippe Séguin, républicain pourtant convaincu et célébré depuis! Que l’on se souvienne du débat sur l’élargissement XXL de l’Union Européenne qu’il convenait d’accepter sans coup férir, avant même de penser à son approfondissement, c’est-à-dire à sa consolidation, notamment démocratique.

Le réveil est tardif, tant les signes de l’éloignement entre l’Europe et ses peuples sont déjà anciens. Pour en rester à la France, on rappellera que le référendum de 1992 pour la ratification du traité de Maastricht fut approuvé de justesse et que celui de 2005 rejeta le projet de constitution européenne, divisant les principales formations politiques du pays, à commencer par le Parti Socialiste. Conscients du malaise européen qui gagnait les français, les deux derniers candidats victorieux de l’élection présidentielle ont fait mine de montrer les muscles le temps de la campagne électorale… avant de se retirer sur la pointe des pieds une fois élus (traité de Lisbonne en 2009, TSCG en 2012).

La classe politique française n’a pas manqué de constance. Au contraire! Avec la régularité d’un pendule, elle n’a cessé d’étouffer les débats sur le sens de la construction européenne, sur l’ultra-libéralisme des règles adoptées par les États eux-mêmes, à commencer par le sacre de la concurrence pure et parfaite qui n’a cessé de désarmer nos économies européennes face à la poussé de fièvre de la mondialisation.

Un bon exemple est celui de la fin des droits de plantation dans la viticulture, choix éminemment libéral s’il en est, consenti le 19 décembre 2007 par le ministre de l’agriculture de l’époque, Michel Barnier, au nom de la première nation viticole au monde, avant que le gouvernement français n’en accuse… la commission européenne! Il aura fallu l’opiniâtreté de l’actuel ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, pour revenir sur une décision criminelle pour la viticulture des terroirs qui fait pourtant notre identité autant que notre force commerciale, notamment à l’export.

Depuis le résultat du référendum britannique, le nuage de mots des pro-européens a donc pris un virage à 180 degrés : « protection », « peuple », « identité », « souveraineté », « frontières », « sécurité », … L’Europe doit cesser d’être « le cheval de Troie de la mondialisation » affirmait Manuel Valls, hier, à la tribune de l’Assemblée. À quoi François Fillon répondait: « assez d’angélisme ! ».

Mieux vaut une prise de conscience tardive que pas de prise de conscience du tout. Mais il y a un hic : si la gauche et la droite rejettent les recettes du FN, elles en recyclent, depuis une semaine, sinon les analyses, en tout cas le discours, en espérant se faire entendre des Français. Le pari est risqué et même dangereux. L’expérience a déjà été conduite, si j’ose dire, sur les autres thèmes de prédilection de l’extrême droite que sont l’immigration et la sécurité. On en voit aujourd’hui toutes les conséquences.

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